- C'est, chaque premier vendredi du mois, un échange de textes, voire d'images ou de sons, entre deux sites/blogs volontaires.
- Ce sont des rendez-vous qui s’opèrent notamment grâce au groupe Facebook dédié,
Après Brigitte Célérier, puis Angèle Casanova, c'est désormais Marie-Noëlle Bertrand qui, pour son premier vendredi, dresse le carnet de bal. Bienvenue et merci à elle !
Nous avons pas mal échangé avec José Defrançois, pour qui c'est le premier vase. Dialogues fructueux, construction ensemble d'un thème commun... Je suis ravi de cette entente, de ce contact. Bref, désormais larrons, nous vous convions au bistrot, peut-être pour y faire d'autres rencontres.
Un autre possible
Texte et photos : José Defrançois
Seul locataire d’un vieil immeuble
coincé entre une agence de la Banque Populaire de l’Ouest et une mercerie
fermée depuis des années, Yann perchait dans un deux pièces près de la gare, un
quartier déshérité de Saint-Yvers à quelques encablures d’Houlgate. Un bled un peu
glauque, presque mort à cette période de l’année. Le pavé toujours légèrement gras
des embruns de la mer toute proche, les rues à angles droits dessinant un
labyrinthe ordonné, les villas aux fenêtres aveuglées depuis la fin de la
saison ajoutaient ; s’il en était besoin ; à cette impression de
ville morte. Et tout ce sable, un tapis sans cesse en mouvement qui peu à peu
recouvre cette petite station balnéaire fanée d’une chape sourde.
Yann aimait à errer tard le soir à la lisière
des voies, regarder le va et vient des quelques rares trains. Des trains comme
autant de possibilités d’évasion. Oublier le poids des journées interminables
passées à côtoyer toutes les variations des turpitudes humaines.
S’oublier.
Au gré des vents capricieux il était
parfois enveloppé d’odeurs d’iode mêlées à certains coins de rue à celles plus
fortes de pisse, des odeurs auxquelles il s’était habitué. Lui ; l’enfant
des cités qui n’avait eut comme horizon que les barres d’immeubles, que les
pelouses râpées comme terrain de jeu, plus tard au temps des premières mobs que les
allées de béton comme piste de course, les caves aussi où il avait connu ses
premiers émois amoureux ; tournait délibérément le dos à la mer, fuyait l’immense
étendue des plages à marée basse.
Quelque temps après avoir emménagé à
Saint-Yvers il avait pris l’habitude chaque soir, son dîner de hasard à peine
englouti, de quitter son appartement pour marcher. Des marches sans but. Presque
sans but.
Juste marcher jusqu’à épuiser la
fatigue.
Sa longue carcasse d’ombre errante
n’inquiétait plus personne. Cela faisait plusieurs mois maintenant qu’il
parcourait les rues désertes, toujours le même itinéraire. Plusieurs mois que
les quelques rares personnes croisées ne s’offusquaient plus, quand trop
absorbé par ses pensées, Yann négligeait de les saluer.
Invariablement ses pas le conduisaient
au seuil de L’Européen. Dernier bistrot ouvert à cette heure avancée de la
nuit. La taulière, une blonde sur le retour ; un peu pute aussi aux heures
perdues ; l’attendait perchée sur son tabouret derrière le comptoir. La
salle faite, Yann serait son dernier client avant qu’elle puisse baisser le
rideau de fer.
Ils étaient tout deux arrivés à cette
heure où les mots ne comptent plus. Deux solitudes dans la brume rougeâtre des
néons. Il venait là par habitude chercher sa dose d’oubli.
Il réchaufferait d’abord l’ambre aux
reflets rouges dans le creux de ses paumes, garderait longtemps en bouche la
première gorgée, savourant les notes de tabac surlignées d’une pointe d’huile
de clou de girofle. Un rituel comme un prélude amoureux avant de sentir la
chaleur de la douce morsure de l’alcool dans sa gorge.
Quelques centilitres d’oubli qu’il
s’accordait chaque soir.
Glendronach 1972. Son seul luxe.
Des bouteilles importées à prix d’or
qu’il s’oblige à laisser là dans cette gargote de peur de céder une fois encore
à ses anciens démons. De céder à l’ivresse folle qui lui avait valu trois ans
plus tôt d’atterrir dans ce bourg perdu.
Putain de placard !
Sorti major de sa promo, promis à un
brillant avenir aux stups à la DRPJ de Paris, il avait vu sa carrière
s’écrouler un soir. Une arrestation comme tant d’autres, le tox qui résiste, la
course à travers les rues. Athlétique, le muscle sec, Yann avait cependant un
mal fou à rattraper l’individu. Il sentait battre son cœur dans sa gorge, l’air
inspiré à grandes goulées avides lui brulait les poumons. Penser que ce mec
pourrait lui échapper le mettait dans une rage incontrôlable, animale. Jamais
encore il n’avait ressenti de haine pour ceux qu’il coinçait. Seulement un jeu.
Un jeu auquel il gagnait souvent.
Pourtant cette fois il perdait du
terrain.
Un peu plus tôt dans l’après-midi il
s’était une fois de plus embrouillé avec Steph, le ton était très vite monté.
Pour des broutilles. Leurs disputes étaient de plus en plus fréquentes, de plus
en plus violentes aussi. Ce n’était pas tant la violence physique ; il
n’avait jamais levé la main sur elle ; que la gifle des mots de plus en
plus durs dont il l’accablait qui l’avait fait quitter leur appartement en
claquant violemment la porte. La violence verbale et la honte. La honte
surtout.
Arrivé en bas de chez eux, il était
resté un long moment comme hébété, il ne comprenait pas, ne se comprenait plus.
Il l’avait pourtant aimée, passionnément. Depuis les gradins de la fac de droit
où ils s’étaient rencontrés six ans plus tôt, ils ne s’étaient plus quittés.
D’abord ils avaient partagé une piaule d’étudiant minable sous les toits, l’eau
et les chiottes sur le palier. Une mansarde où ils s’étaient apprivoisés
gentiment. Patiemment.
Pourtant par moment Yann sentait que
Steph lui échappait. Trop belle, d’une beauté presque aristocratique.
A plusieurs années de distance il
restait étonné que cette grande fille au teint mat et aux yeux presque
transparents à force d’être bleus se soit intéressée à lui. Ce n’était
cependant pas pour sa beauté qu’il la désirait ; parfois violemment,
parfois jusqu’à la douleur ; non, c’était surtout parce que d’autres
pouvaient la trouver belle et la désirer qu’il la trouvait belle. Il ne
désirait que le désir qu’il avait d’elle. Il jouissait de la douleur de se
refuser à elle. Un paradoxe qu’il ne parvenait pas à s’expliquer. Il était jaloux aussi de la sentir
intelligente. Jaloux de la grâce qu’elle mettait en toute chose.
Il s’était réfugié dans un troquet et
s’était enquillé petit verre sur petit verre jusqu’à ce que le barman finisse
par refuser de le servir. Ivre, il avait tout de même pris son quart de nuit.
L’alcool était devenu son ami depuis des mois, une descente aux enfers que la
fréquentation des lieux louches et de tout ce que compte la capitale de types
branques ne faisait que précipiter.
Yann s’essoufflait, une vieille douleur
au genou, souvenir de ses années de rugby, se réveillait. L’homme allait lui
échapper. Un petit poisson qu’il finirait bien par retrouver un jour. Après
tout Paris n’est qu’un petit village.
Il allait presque lâcher l’affaire quand
le mec broncha dans un amas de cartons. En quelques secondes Yann fut sur lui.
L’autre, pris au piège tentait de se débattre, de s’enfuir encore. Deux corps
animés de fureur.
Fou d’alcool Yann frappait l’homme à
terre, on entendait le son mat des coups flétrir les chairs, les souffles
rauques de bête. D’un dernier coup de pied il lui fracassa la mâchoire.
Fin du match.
Grâce à ses états de service jusque là
irréprochables et au coup de pouce de son mentor aux stups, Yann avait échappé
à la révocation.
Direction Saint-Yvers.
Purgatoire.
Trois ans déjà.
Yann avait été surpris un soir de
s’apercevoir qu’il aimait l’ambiance du rade pourri.
L’Européen, tu parles d’un blaze !
Il y avait sa place, toujours au bout du
zinc ; une vieille habitude ; voir entrer les clients, un automatisme
acquis à force de côtoyer les petites frappes dans sa vie d’avant, pouvoir les
jauger d’un coup d’œil. Un tic inutile à Saint-Yvers.
Il appréciait ce moment de presque
solitude. Il n’y avait qu’Ismaël, un vieux pochetron pour venir parfois
troubler sa quiétude.
Solitude avinée pour l’un, solitude
amère pour l’autre.
Il n’avait eut depuis Steph que quelques
filles d’une nuit. Des jeunes femmes toujours surprises de trouver son
appartement quasiment vide. Les murs blancs, vierges de toute déco. Une sorte
d’ascétisme qu’il cultivait en repeignant régulièrement les parois de sa
prison. Un peu comme si les couches superposées de peinture pouvaient effacer
le passé.
Yann ne se souvenait jamais de leurs
prénoms, elles partaient juste le matin, elles s’évanouissaient dans les brumes
venues du large. Tout comme peu à peu les traits de Steph s’effaçaient de sa
mémoire. Oubliées aussi les fringales qu’il avait d’elle aux premiers temps de
son exil.
Tout avait marché de travers aujourd’hui :
des vagues histoires de querelles de voisinage, de chiens qui aboient la nuit....
Une kyrielle de pneus crevés. Des gosses du coin qui s’emmerdaient un peu sans
doute.
L’ennui total !
Depuis qu’il était dans le coin, Yann ne
l’avait jamais vue. Qu’est-ce que pouvait bien foutre cette fille dans ce bled
un soir d’hiver ?
Plongée dans son ordinateur, elle ne
l’avait pas vu entrer. Ce n’est que lorsque son téléphone s’est mis à sonner et
qu’elle s’est penchée pour attraper son sac à ses pieds que leurs regards se
sont accrochés.
Un autre possible
Ne pas rester en rade... Joli polar au comptoir.
RépondreSupprimerMerci Dominique. Bon week-end !
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