vendredi 4 octobre 2013

See Saw par Eve de Laudec - Vases communicants d'octobre 2013

Pour ces vases de début d'automne, tapis rouge à Eve de Laudec, pour un texte digne et beau. Très fier d'accueillir cette grande dame, qu'on aura plaisir à retrouver sur son site L'emplume et l'écrié.
Et pour les découvreurs des Vases Communicants : 
- C'est, chaque premier vendredi du mois, un échange de textes, voire d'images ou de sons, entre deux sites/blogs volontaires, idée lancée initialement par Tiers Livre et Scriptopolis. 
- Ce sont des rendez-vous qui s’opèrent notamment grâce au groupe Facebook des vases communicants, dont Brigitte Célérier est l'âme. Alors merci. (Elle administre aussi le blog qui, mensuellement, regroupe tous les participants. ) Merci aussi à Pierre Ménard qui scoop-it les échanges.

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Ma contribution du mois, Un autre interminable cou, est lisible sur le blog L'emplume et l'écrié.

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     See Saw - Eve de Laudec


Un vase peut communiquer avec sa feuillée par une eau nourrice. Ces derniers jours ma feuillée était pâle et fêlée. Par son attention, François Bonneau a su m’ouvrir des vannes, j’en ai rempli ce vase, posé en équilibre sur son blog http://irregulier.blogspot.fr.
Merci d’écouter le MP3 joint en lisant le texte.
François, lui, me fait la joie de déposer un vase débordant sur mon site, http://evedelaudec.fr/cooperations/octobre-2013/index.php   Je lui promets de ne pas le renverser, c’est si fragile une feuillée envasée…

See Saw Margery Daw,
Baby shall have a new master…
Baby shall earn but a penny a day,
Because he can't work any faster

Toi, l’eau, je t’ai connue
Sucrée coton, suave et gaie, bonbon soleil.
J’étais nourrissonne. Ma mère entonnait cette très ancienne chanson enfantine en  me berçant dans l’eau chaude du bain. Le corps penché sur moi, les mains sous ma nuque et mes fesses, elle murmurait plus qu’elle ne chantait dans la douceur embuée de la salle de bain.
See saw devint, pour la nuit des temps, sisomââchérido, ciseaux, si sot, sea saut, la litanie du ralliement familial à l’élément liquide, le rappel amniotique pour toute éternité, le fil ombilical qui relie nos générations présentes et à venir.
Plus tard, enfants, pendant le bain collectif quotidien, ma  sœur et moi nous balancions toujours, d’arrière en avant, le dos glissant sur le fond de la baignoire. Face à face, nous nous tenions les mains, plantes de pieds collées à l’autre, et nous seesawiions en cadence, psalmodiant cet air qui devenait dans nos bouches un extraordinaire charabia humide. Dans son ressac l’eau éclatait d’un rire mousseux  contre nos genoux couronnés. Elle pétillait, bullait, guiliguilisait, titillait tous nos replis dans nos impulsions. Des milliers de petits doigts de lutins jouaient la sarabande effrénée sur nos épidermes transparents, incrustant leurs notes rougissantes en dessous, gravant des friselis sur nos pores qui se dressaient en chair de poule. Ces remous aiguisaient notre sensualité naissante, comme autant de promesses à s’ouvrir, goûter, sentir, toucher…
Toucher, ressentir, s’ouvrir, effleurement, see saw scande,  see saw cajole…
La vague  rythmée remontait vers nos épaules, à la limite du débordement, quand en cachette, en dépit des risques de brûlure, nous ouvrions les vannes pour réchauffer  le bain qui tiédissait. Aussi nous plaquions avec force  nos paumes à la surface de l’eau pour couvrir le vacarme du jet, ou le dirigions vers un bras, un pied, un dos. Ou bien nous entourions le robinet d’un gant de toilette ; exquise excitation de nos papilles lorsque nous percions cette outre gorgée  de bouillon en la mordant à pleines dents!
Éveil. Merveille.
Sommeil.       Réveil.     Veille.    Surveille. Surveille,  SURVEILLE…

Toi, l’eau je t’ai connue
Choquante, coupante,  brûlante de glace, cisaillant profondément ma chair pour m’écraser les nerfs, pour entailler mes ramifications trop poussées. Tu vomissais d’une lance que les hommes en blouse pointaient sur moi, tu injuriais violemment mes immenses tristesses, tu percutais mes terreurs, les faisant rebondir sur les murs carrelés de blanc, à la cure des fous, à la curée des boues fumantes.
Je t’ai haïe, agrippée aux barres métalliques fixées au mur.
Tu sondais en vrille mes essentiels, fouillant des anomalies à extirper, humiliant mes vérités, écorchant mon esprit tremblant, vacillant, en radeau, à grands coups de pompes à incendie. Qu’y avait-il à éteindre ? Espérais-tu laver mon origine ale, la rendre vierge?  Ce que tu nommais nervosité, dépression, hystérie, excitation, bête immonde, pouvait-elle disparaître en douche-contusion, dans ma toute confusion ? Tu as balafré mon âme comme autant de vergetures indélébiles à la  marée descendante.
See saw litanie n’a pu protéger la petite fille, son chant autiste n’a su faire rempart aux ecchymoses d’une vie-sévie.
Je te voulais source, ventre, mer immense, mère clémence
Tu es devenue torrent échevelé, charriant mes secrets pour les engloutir dans la mare au diable. Tu as pointé ton doigt liquide, ton ongle crochu sur mon être.
Je suis marquée du sceau, see saw, margery daw, baby shall have …    


Mon petit, mon tout petit, mon doux petit, l’eau a maintenant regagné son lit. Elle est claire. Je te passe le témoin.

See saw, Margery daw, Baby shall have a new master…


Eve de Laudec  28 septembre 2013

Mes immenses remerciements à Michel Bonnargent pour avoir supporté mes exigences lors de ses impros musicales comme au mixage.
J’ai emprunté à Maria Callas quelques notes de sa voix sublime (o mio babbino caro).

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