[...] Pourquoi faut-il donc que le rêve soit exotique ? Affublé d'un nom que le soleil carnavalise ? Placé sous les auspices du lointain mystérieux, du lointain merveilleux ? Saphir Antalgos, ça vous a des airs de pays chauds et d'yeux langoureux, ça fait rêver, forcément... Mais se fût-il donné à connaître sous le nom de Bernard Blanc, aurais-je mis tant d'énergie à le débusquer ? Je l'aurai cru donné d'avance. Pourtant, Bernard Blanc, il y aurait des choses à dire. Bernard : on pourrait gloser par exemple sur le petit tonneau plein d'ivresse et de réconfort des chiens sauveteurs. Eau-de-vie, Saint-Bernard aux grands yeux empathiques. Ensevelis sous l'avalanche du réel nous attendons les secours du rêve. Par olfaction, l'animal altruiste débusque l'odeur d'homme en détresse sous des mètres de neige. Il creuse frénétiquement, comme si se concrétisait sous ses pattes la promesse d'un os à moelle. Enfin il trouve. Il dégage le corps bleu de froid. De joie il le lèche : ce qui vient en premier du rêve, c'est sa bave servile et enthousiaste. On voudrait avoir la force de lui dire bas les pattes.
Le fait de rêver a beau être est une réalité biologique pour tous, la nature des rêves en eux-mêmes nous étourdit parfois. De ces tranchées dans le quotidien, de ces cloisons, Cécile Portier a décidé de faire un grand travail de terrassement fictionnel. Pas réellement d'auto-analyse. Ou si fine qu'elle se masque, pour le lecteur, dans la fiction.
Car le projet (si j'ai bien su le lire) propose de faire autre chose de cette matière mentale qui vient visiter la nuit. Cet autre chose, ce fil conducteur entre les divers récits de rêves qu'on devine scrupuleusement notés à même la table de nuit, c'est Saphir Antalgos, le visiteur aux multiples visages et aux multiples emplois.
En effet, chacune des sections du livre s'ouvre sur une carte de visite fictive de Saphir Antalgos. Déménageur ? Directeur de cabinet ? Danseur pour dames, détenu ? Il nous est présenté comme multiple, il est à affronter, à apprivoiser, fil d'Ariane tantôt inconnu et tantôt trop familier.
Les enchaînements (malicieux et audacieux), l'écriture forte et simple font de ce livre inhabituel un temps qui passe trop vite. Hautement recommandable.
Son site : http://petiteracine.net/wordpress/
Dossier de presse de son projet en cours Étant donnée: http://www.chartreuse.org/documents/pdf/dossiers%20de%20presse/2013/dp-etant-donnee.pdf
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