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C'est, chaque premier vendredi du mois, un échange de textes, voire
d'images ou de sons, entre deux sites/blogs volontaires,
idée lancée
initialement par Tiers Livre et Scriptopolis.
- Ce sont des rendez-vous qui s’opèrent notamment grâce au groupe Facebook dédié, et au blog qui, mensuellement, regroupent tous les participants.
- Ce sont des rendez-vous qui s’opèrent notamment grâce au groupe Facebook dédié, et au blog qui, mensuellement, regroupent tous les participants.
Je reprends ici une bonne partie de l'excellente présentation de Giovanni Merloni pour notre échange du mois - c'est un grand plaisir de le retrouver.
Lui et moi, nous avons décidé d’exploiter notre échange autour d’un thème unique : deux photos accompagnées par une phrase assez emblématique « seule la musique est à la hauteur de la mer » (que nous avons empruntée à Albert Camus). À partir de ces traces aussi suggestives que vagues (comme les ondes de la mer), chacun de nous a exploité tout à fait librement un petit conte ou récit imaginaire.
Lui et moi, nous avons décidé d’exploiter notre échange autour d’un thème unique : deux photos accompagnées par une phrase assez emblématique « seule la musique est à la hauteur de la mer » (que nous avons empruntée à Albert Camus). À partir de ces traces aussi suggestives que vagues (comme les ondes de la mer), chacun de nous a exploité tout à fait librement un petit conte ou récit imaginaire.
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Seule la musique est à la hauteur de la mer.
Texte : Giovanni Merloni
Photos : François Bonneau
J’ai l’obsession de la boîte. Au jour le jour, je sors d’une boîte pour entrer quelques minutes après dans une autre. Ma liberté
consiste en ce déplacement, dans l’insouciance de mes pas qui laissent sortir les
pensées sombres pour
accueillir à leur place les idées lumineuses. Dans le trajet d’une boîte à
l’autre je deviens grand et même démesuré... insensible aux klaxons ainsi qu’au bruit de fond des moteurs. Mes jambes encore robustes, ne faisant
qu’un avec mes pieds encore élastiques, me donnent une bizarre envie de courir, de briser à
grande vitesse ce mur d’air gris et de
gueules agitées pour me rendre
le plus tôt que possible
dans la boîte qui m’attend, inexorable.
Parfois, dans cet
itinéraire répétitif, qui m’oblige à noter les moindres variations climatiques et sonores, il m’arrive de me souvenir d’une chanson assez
mélancolique que ma
grand-mère maternelle me
chantait dans mon enfance : « Dans la mer luit l’astre d’argent/la vague est tiède, propice le vent/venez à la mienne barquette agile/Sainte-Lucie, Sainte-Lucie ! » (1)
Tout le monde se
déplace d’une boîte à
l’autre. Aux deux extrêmes, il y a les sans-abris qui chaque nuit se recroquevillent dans l’étau d’une boîte d’air gelé ; ou alors les galériens, qui ont juste la chance de sortir un
quart d’heure dans une cour sordide avant de rentrer dans le même cachot.
D’ailleurs, la couveuse est une boîte comme la bière. On y est
emprisonnés avant et après cette existence constellée de boîtes de toutes sortes. Les ascenseurs sont de redoutables boîtes, parfois en forme de bière verticale. Les cellules spatiales en voyage
pour la Lune sont de boîtes encore plus
redoutables... Ah, oui, je l’avoue, ma pensée la plus effrayante est celle de survivre à
ma mort... de me découvrir vivant dans une bière scellée et clouée...
Je supporte à
peine l’idée d’un cagibi qu’un accident transforme en prison. Je peux m’imaginer résigné
à
y survivre avec ma provision de viande ou de sardines en boîte, à condition qu’il y ait une fenêtre voilée et que je
puisse profiter de quelques traces de la vie réelle, même de la vie de
mes ancêtres morts depuis
longtemps. À chaque réveil, de mes yeux devenus presque aveugles, je
pourrais regarder au-delà de cette dentelle
abîmée et de ces excréments d’oiseaux ou de cafards... Je verrais ma fenêtre à pic sur les rochers, la mer qui va et vient léchant les pieds de mon pénitentiaire. J’entendrais
la musique des vagues de la marée basse, au petit matin. Je regarderais confiant la petite île d’en face, inondée de lumière et de merveilleuse normalité. Une boîte heureuse,
apparemment.
Ou alors, un
jour, on m’ouvrira cette porte triplement verrouillée. On me dira : « Va-t’en ! » Je serai maigre, mes jambes et mes pieds auront perdu toute expérience. Je n’aurai que
mes bras et mes mains, qui m’ont si bien servi dans cet exercice pénible à me hisser au
niveau des toiles d’araignée pour voir un peu mieux au milieu de cette opaline aux reflets
verts et célestes. Je
roulerai mon corps jusqu’à la rive. Je me
calerai dans la mer et je m’aventurerai au milieu des petites ondes grisâtres. La musique de la mer s’occupera de moi, bien sûr en orchestrant des courants bénéfiques. Je sais
que là-bas, au-delà
de ce bras de mer, Lucie, la veuve du geôlier — ayant pris l’habitude de m’amener
sans critères des boîtes de miel ou de thon, de sauce béarnaise ou de haricots —, m’attend avec sa
barquette. Elle viendra à ma rencontre pour
me sauver : « Dans la mer luit
l’astre d’argent/la vague est tiède, propice le vent/venez à la mienne barquette
agile/Sainte-Lucie, Sainte-Lucie ! »
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