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C'est, chaque premier vendredi du mois, un échange de textes, voire
d'images ou de sons, entre deux sites/blogs volontaires, idée lancée
initialement par Tiers Livre et Scriptopolis.
- Ce sont des rendez-vous qui s’opèrent notamment grâce au groupe Facebook dont Brigitte Célérier est l'âme. Alors merci. Elle administre aussi le blog qui, mensuellement, regroupe tous les participants.
Aujourd'hui, je laisse la parole à Giovanni Merloni pour son joli préambule.
***
Le
« système » des vases communicants est en train de produire dans
notre contexte francophone une série d’expériences de plus en plus
intéressantes. La circulation de chaque « échange », à travers la
lecture, fait progressivement déclencher une certaine variété de vases et aussi
de variantes évolutives par rapport à l’idée originaire d’un échange tout
court.
Avec François Bonneau, au risque de voir notre vase « excommunié » ou tout simplement anathématisé, nous avons osé regarder à l’intérieur du vase (une « giara » sicilienne ou une porcelaine chinoise ce serait le même), comme dans un puits. Une idée transgressive (pourquoi pas ?) de communication ou de réflexion commune.
Et voilà la découverte : le vase est un miroir. Si j’envoie un dessin ou une photo que j’ai choisie à François Bonneau, cela veut dire que je lui propose, bien sûr, une contrainte parmi les infinies contraintes possibles. Mais je lui offre aussi un « alibi » pour s’exprimer librement.
Et, vice versa, si Bonneau choisit pour moi des images — en correspondance d’un sujet commun ou sans aucune contrainte thématique — il me propose de travailler « à partir » de ces images, mais de façon libre, essayant le plus possible de garder l’esprit insouciant et l’âme disponible à la rêverie.
Donc ce que nous nous envoyons réciproquement, ce sont des miroirs. Des miroirs « souillés » par des traînées de couleurs, par des lignes plus ou moins serrées ou alors par des images apparemment complètes et exhaustives qui se superposent au miroir comme une pellicule opaque.
Cela a toujours fonctionné, car la présence de l’image ajoute au miroir un effet de décalage extraordinaire, telle une allumette s’appuyant sur une mèche destinée à provoquer tôt ou tard en nous l’explosion créative.
D’ailleurs, comme le disait très bien mon cousin psychanalyste (que j’ai déjà cité plusieurs fois) « c’est la rêverie qui allume la volonté », en déclenchant le désir de vivre et de faire quelque chose dans le monde.
Selon une logique tout à fait intéressée, cette hypothèse du vase-miroir peut justifier alors l’affirmation selon laquelle un vase communicant, en exaltant sa propre nature de miroir, peut offrir aux poètes et aux artistes des suggestions pour des portraits.
Et voilà le défi que François Bonneau et moi nous avons assumé aujourd’hui : profiter de cette identité entre le portrait, le miroir et le vase communicant pour mettre en relation deux philosophies de la vie et de la création, la sienne et la mienne. Ou, pour mieux dire, intégrer dialectiquement à l’intérieur d’un vase-miroir ce qu’évoquent les titres de nos blogs : « le portrait inconscient » et « l’irrégulier ».
On s’est donc échangés des images de quelques façons adaptées à l’idée d’un « portrait irrégulier » qui se réaliserait en « fusionnant » nos points de vue.
Avec François Bonneau, au risque de voir notre vase « excommunié » ou tout simplement anathématisé, nous avons osé regarder à l’intérieur du vase (une « giara » sicilienne ou une porcelaine chinoise ce serait le même), comme dans un puits. Une idée transgressive (pourquoi pas ?) de communication ou de réflexion commune.
Et voilà la découverte : le vase est un miroir. Si j’envoie un dessin ou une photo que j’ai choisie à François Bonneau, cela veut dire que je lui propose, bien sûr, une contrainte parmi les infinies contraintes possibles. Mais je lui offre aussi un « alibi » pour s’exprimer librement.
Et, vice versa, si Bonneau choisit pour moi des images — en correspondance d’un sujet commun ou sans aucune contrainte thématique — il me propose de travailler « à partir » de ces images, mais de façon libre, essayant le plus possible de garder l’esprit insouciant et l’âme disponible à la rêverie.
Donc ce que nous nous envoyons réciproquement, ce sont des miroirs. Des miroirs « souillés » par des traînées de couleurs, par des lignes plus ou moins serrées ou alors par des images apparemment complètes et exhaustives qui se superposent au miroir comme une pellicule opaque.
Cela a toujours fonctionné, car la présence de l’image ajoute au miroir un effet de décalage extraordinaire, telle une allumette s’appuyant sur une mèche destinée à provoquer tôt ou tard en nous l’explosion créative.
D’ailleurs, comme le disait très bien mon cousin psychanalyste (que j’ai déjà cité plusieurs fois) « c’est la rêverie qui allume la volonté », en déclenchant le désir de vivre et de faire quelque chose dans le monde.
Selon une logique tout à fait intéressée, cette hypothèse du vase-miroir peut justifier alors l’affirmation selon laquelle un vase communicant, en exaltant sa propre nature de miroir, peut offrir aux poètes et aux artistes des suggestions pour des portraits.
Et voilà le défi que François Bonneau et moi nous avons assumé aujourd’hui : profiter de cette identité entre le portrait, le miroir et le vase communicant pour mettre en relation deux philosophies de la vie et de la création, la sienne et la mienne. Ou, pour mieux dire, intégrer dialectiquement à l’intérieur d’un vase-miroir ce qu’évoquent les titres de nos blogs : « le portrait inconscient » et « l’irrégulier ».
On s’est donc échangés des images de quelques façons adaptées à l’idée d’un « portrait irrégulier » qui se réaliserait en « fusionnant » nos points de vue.
Un Portrait Irrégulier : le point de vue de Giovanni Merloni
Texte : Giovanni
Merloni
Photos : François Bonneau
Le
point de vue que me propose François est celui d’un miroir déformé, comme vous
voyez ci-dessus. Un visage long et gonflé, que la lumière sur la joue droite
brûle un peu. Un effet d’éloignement réciproque entre les yeux et la bouche qui
met « en valeur » un nez un peu exagéré.
Ce
qui m’étonne, ces yeux (qui viennent juste de sortir du sommeil) nous regardent
débonnaires, avec surprise et curiosité, tandis que la bouche hurle en
protestant, indignée.
Quoi
faire ?
Dans
la deuxième photo, je note la même chemise céleste dépourvue du premier bouton
et le même pull bleu. Mais le personnage « irrégulier » ne présente
presque aucune ressemblance avec le précédent. Si celui-là pouvait évoquer mon
professeur de latin en train d’expliquer les gênes rencontrées dans la
correction des devoirs (et d’ajouter : « dorénavant le tour de vis
sera encore plus sanglant ! »), celui-ci ressemble carrément à un
extra-terrestre humanisé. Il nous accueille, apparemment, dans sa cellule
spatiale super équipée où l’on peut entrevoir des piments spéciaux pour rendre
mangeables de tristes pilules colorées qui vont remplacer le pot au feu ainsi
que les lasagnes à la bolognaise.
Heureusement,
ce monsieur lunaire a été compréhensif. Il m’a laissé descendre de
l’astronef : « Juste le temps de faire pipi la dernière fois dans
votre atmosphère ! » m’a-t-il dit, en refermant ses yeux énormes,
tout en sachant que j’aurais profité de sa distraction pour m’en fuir.
Mais,
je suis tombé de la poêle dans la braise. Pour me sauver, je suis rentré dans
la première porte ouverte. C’était un musée d’art contemporain. Il ne manquait
de rien. De Hopper à Rauschenberg, de Burri à
Pollock. Et, naturellement, il y avait Léger, Kandinskij et Picasso.
Imaginant de pouvoir finalement reprendre haleine, je me suis installé sur un
divan de velours très commode. En face, on avait accroché un tableau au châssis
déformé exprès... Sur fond bleu, des figures géométriques vertes et marron se
détachaient harmoniquement... J’ai fermé les yeux.
À
l’improviste, quelqu’un m’a adressé la parole :
« réveillez-vous ! D’ici quinze minutes, on va fermer. Je vous conseille
de ne pas rater la dernière salle. Dépêchez-vous ! » Surpris de cette
attitude empressée, j’ai essayé de regarder dans les yeux ce monsieur... et je
me suis trouvé devant un tableau personnifié ! Essayant d’esquiver son
regard hypnotiseur, j’ai demandé en quoi consistait l’attraction de la dernière
salle. « C’est moi ! Venez, venez ! »
Dix
minutes après, j’étais entouré d’un groupe de visiteurs inquiets pour ma santé.
Ils m’avaient installé sur un banc public dans le jardin encore baigné des
rayons rouges du crépuscule. « Vous vous êtes évanoui », me dit une
gentille femme blonde, en m’offrant de l’eau dans un verre de papier.
« Vous avez oublié ça ! » me dit son mari en me glissant sur la
poitrine essoufflée deux cartes postales.
En
les regardant, je me souvins petit à petit. Mais, quand je prononçai
péniblement le nom « Francis Bacon », c’était trop tard pour
raconter. Les deux secouristes étaient partis et le gardien de l’hôtel
particulier me fit signe de sortir, car il devait fermer la grille.
Heureusement,
la rue qui longeait le petit jardin se déroulait selon une perspective opposée
à la place où encore trônait l’araignée spatiale avec ses gyrophares
multicolores. Je me faufilai dans le bistrot de L’ANCÊTRE en m’isolant au bout
du local, derrière le comptoir de zinc.
Avec
mes derniers euros, je me régalai en demandant une « Mort subite »
blanche. Essayant de ne pas attirer l’attention, j’examinai la première carte
postale en la confrontant avec la deuxième. Dans celle-ci, on découvrait un
visage presque humain. Cela me fit réfléchir : peut-être, je devrais
renverser leur ordre. Car la deuxième reproduisait sans doute un tableau plus
ancien de Francis Bacon. Oui, celui-ci est un portrait assez irrégulier, si l’on
considère que sur la gauche vous avez un regard tout à fait humain venant du
XIXe siècle — on dirait Marcel Proust en personne — ainsi qu’une attitude
légèrement agacée, mais patiente, tandis que sur la droite la tête se modernise
en « mettant en valeur » la moitié gommeuse du personnage concerné...
J’avoue
pourtant que les deux photos me dérangeaient vivement. J’avalai deux gorgées de
« Mort subite » et tout revint à mon esprit : la dernière salle,
complètement noire ; les deux encadrements vides, tandis que l’homme y
glissait dedans. Mais, comment avait-il pu se caler dans deux tableaux dans le
même instant ?
Ensuite,
comment dire ? Un deuxième verre de « Mort subite », que je ne
pouvais pas payer, acheva mon égarement. Je notai dans la table à côté de la
mienne un de mes poètes maudits préférés, ou alors Pierre-Auguste Renoir en
chair et os.
Celui-ci,
en constatant mon embarras financier, me fit signe qu’il n’y avait pas de
problèmes. Il était l’arrière-grand-père du patron et donc je n’aurais pas payé
la deuxième bière.
Il
se suivit un long silence, dans lequel je n’osais rien dire.
Bouche
bée, je regardais cet homme tourmenté, que la lumière psychédélique du bar
rendait surréel : « Je suis le Ténébreux, — le Veuf, — l’inconsolé,
Le
Prince d’Aquitaine à la Tour abolie... »
était-il
en train de dire. « Mais vous êtes... »
« Oui,
j’étais Gérard de Nerval ! »
Voilà,
j’ai échappé à la rage du vieux professeur, je me suis sauvé d’un piège
interplanétaire... J’ai ensuite réussi à sortir indemne du risque d’être
englouti par deux tableaux de Francis Bacon (ou peut-être de François Bonneau)
et j’ai survécu à la Mort subite grâce à l’intercession d’un esprit poétique et
désintéressé.
Mais
après, je me suis trouvé dans la rue, sans un sou, empêché par mon orgueil
d’artiste jeûnant de trouver un boulot quelconque. Ici, loin de tout, dans cet
unique carrefour après de kilomètres et des kilomètres de campagne, je pourrais
bien travailler comme fossoyeur ou facteur ou simple galopin.
Pourtant,
j’ai confiance dans le temps. Ça va passer. Je dois encore descendre un peu,
avant de toucher le fond du vase. Après je remonterai !
À
propos, avez-vous une cigarette ?
Imaginez-vous
ce qu’on m’a répondu
Et dire qu'il n'est pas sûr que le musée Picasso, après cinq années de fermeture pour travaux, rouvre en juin comme prévu... On manque soi-disant de gardiens, fait remarquer, désabusé, le fils du peintre.
RépondreSupprimerMais ici, on pourrait trouver des candidats, non ?
La mort subite ce n'est pas de la petite bière et si l'on vide le vase un peu grand, la vision ne s'améliore pas.
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