vendredi 6 septembre 2013

Le Fleuve bleu - Piero Cohen-Hadria pour les Vases Communicants de septembre

Pour les découvreurs des Vases Communicants :

- C'est, chaque premier vendredi du mois, un échange de textes, voire d'images ou de sons, entre deux sites/blogs volontaires.

- C'est une Idée lancée initialement par Tiers Livre et Scriptopolis.

- Ce sont des rendez-vous qui s’opèrent notamment grâce au groupe Facebook des vases communicants, dont Brigitte Célérier est l'âme. Alors merci. (Elle administre aussi le blog qui, mensuellement, regroupe tous les participants. ) Merci aussi à Pierre Ménard qui scoop-it les échanges.
Pour ces vases de rentrée, j'accueille (tardivement, donc avec plates excuses) Pierre Cohen-Hadria, à qui l'on doit le blog Pendant le Week-end. À base de photos, nous nous sommes mis d'accord pour explorer le thème du mariage ; je l'avais moi-même déjà sacrément approché, ce thème, au cours de l'été...
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Ma contribution du mois, tinte, est en ligne sur le blog Pendant le Week-end
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Le Fleuve Bleu
Texte et photos 2 et 3 : Pierre Cohen-Hadria 

C’est un restaurant qu’on avait adopté, il se trouvait sur une placette, sans nom, on y avait fêté quelques anniversaires, il y avait quelques temps qu’on y allait, il était bon marché, je crois que le patron s’appelait François, je crois qu’il avait mal à l’épaule, ou quelque chose, sa femme, Muriel (c’était Muriel ?) portait des baskets comme celles d’un coureur à pied (ou alors, c’était Cécile ? je ne sais plus exactement), on y mangeait bien et l’addition restait raisonnable, parfois des calamars frits accompagnés d’une salade, ils étaient chaleureux, François venait toujours vous proposer un légume supplémentaire « vous n’aimez pas les lentilles ? » disait-il, le restaurant se trouvait dans cette rue où on trouve un hôtel et dans cet hôtel même avait vécu, entre les deux guerres, le bottier du haut de la rue de Belleville (le 83-85, on avait apposé une plaque de marbre en son honneur, Maurice Arnoult, c’est ainsi qu’il se nommait), avant de rencontrer sa femme et de se marier avec elle, mais c’était à Ivry il me semble. Au mur, il y avait cette photo, c’était celle de leur mariage qui avait eu lieu, une vingtaine d’années auparavant.



Il y avait des inscriptions à la craie sur le tableau noir qui regroupait les plats des menus, et les plats qu’on pouvait emporter : c’était ainsi que marchait cette petite affaire bleue, des gens venaient manger mais on pouvait emporter si l’on voulait le plat du jour ou d’autres mets, des lasagnes al forno ou du boudin noir aux deux pommes.

Un jour dans la vitrine apparut le tableau noir. On allait fêter durant quatre jours le mariage du fils des deux restaurateurs, un certain Damien donc. 



La cérémonie eut lieu dans la rue, limousine et costumes blancs, demoiselles et garçons d’honneur, cravate et cols cassés, mousseline et voiles, traîne, invités et discours, embrassades et mains serrées, regards enamourés et larmes spontanées, danses, chansons, vins fins et mets choisis.


Puis Damien était reparti, mais vers le pays de son épouse.

Et voilà qu’un jour, ses parents, donc, vendirent et allèrent s’installer en Vendée ou dans on ne sait trop quelle province au climat plus doux, probablement entre Rochefort et Royan, là où le vent souffle et la mer rugit, l’océan et les marées, l’écume et les jours, les îles et les bateaux. On ne peut guère le leur reprocher, mais à présent il y a ici comme un vide.

Les choses ont changé, le temps n’est plus le même, mais la rue est toujours en pente, et de mémoire d’autochtone, on sait que sur la photo, les enfants sont toujours non loin, les parents de la mariées se trouvent dans les rues adjacentes, avec leurs voitures et leurs motos, les enfants jouent et les parents, à l’été ouvrent les portes, mangent des fruits secs et boivent de la bière.

Le restaurant a bien été repris, mais à présent il s’agit d’une autre cuisine, thaïlandaise peut-être, à base de poulet caramélisé et aigre-doux, et dans les premiers jours, Cécile et François sont même venus donner un coup de main, et puis ils ont disparu. On n’offre plus de plats à emporter mais on n’a pas débaptisé le lieu. A la place de l’ardoise, on avait adopté des cartes faites dans du plastique brillant, on a numéroté les plats, le restaurant remarche (à Paris, le restaurant est une affaire solide, le parisien ne rentre pas déjeuner à la maison, et le soir, en a marre de faire la popotte) mais ce ne sera plus comme avant.

Aujourd’hui, quand on y marche à l’été, dans la rue, les tables sont toujours sur le trottoir, les convives sont toujours nombreux, ça rit ça mange ça boit, ça porte bermudas à poches t-shirts de marque tongues tatouages piercing bracelets brésiliens débardeurs shorts sandales parfums et maquillages. Le café qui jouxte le restaurant est lui aussi un restaurant. En face, une autre enseigne s’est ouverte, une autre forme de commerce, un marchand de vins, et une autre table bien plus onéreuse où les plats sont chiches et les serveurs obséquieux.

Ici, dans le quartier, parfois, on préfère encore aller se promener au jardin.

1 commentaire:

  1. A Belleville, on a le gosier en pente...

    Limousine de location pour ces mariages, un véhicule de rêve pour quelques instants (on devient vedette) avant de retrouver les transports en commun.

    La valse des restaurants parisiens : on pourrait en faire la carte.

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