jeudi 22 novembre 2012

Claro - Bunker anatomie

 Trois jours plus tard, Méduse s'était lassée d'Étretat et de sa fortune accumulée au casino (le 7, le 11, toujours l'impair : l'arbitraire). Elle avait réussi à pétrifier un jeune diplômé venu terminer sa thèse sur Arsène Lupin - et persuadé que la vision quotidienne de l'inepte et creuse Aiguille l'aiderait à gonfler son rapport policé. Leur idylle dura moins de deux heures, et Méduse s'en voulut de cette exécution sommaire qui se solda par un quart d'orgasme contre un rempart de béton, avec sous leurs pieds le vacarme monophonique des galets. Au moment de jouir, Vincent (ou Simon, Jean-Luc...) avait vu Méduse ôter ses lunettes, avait vu, au fond de ses yeux, cette chose rare qu'il est délicat de décrire, non parce que sa description excède l'imagination (cela va de soi, et y retourne aussitôt), mais parce que d'autres effrois nous appellent, à notre insu, comme s'est peut-être le cas du lecteur qui, lisant ces lignes, a encore, imprimées sur ses rétines, des visions parasites qui à la fois l'agacent et le distraient. Bref, Simon (ou Serge, Nicolas...) vit la falaise mentale d'où il avait chu en quittant l'enfance, l'empreinte radioactive de sa toute première érection sur le drap mental de sa mémoire, vit et, vaincu, mourut. Maquillé en pirate, il trône désormais devant une crêperie.


On est dans la lecture d'un roman ou l'autre, on va s'approvisionner dans sa médiathèque locale, on jette son dévolu sur ce Bunker Anatomie, on a le malheur de parcourir les premières pages. Piégé : les très courts chapitres, petites entités démoniaques, s'appellent l'un-l'autre, se font la courte échelle : vous en prendrez bien un dernier ?
C'est ainsi que cette lecture, fluide, récréative mais pas que, est parvenue à passer devant les autres. Le roman raconte la rencontre de Méduse, (comme il se doit aux cheveux serpentaires, comme il se doit au regard figeant... mais conduisant, à ses heures, une prosaïque Mégane Renault) et de Cyclope (caché sous les traits du Ghost Sniper, résolu, parfaitement cinglé, calme, sensible aux démangeaisons de sa gâchette.) Du mythe, donc, qui se promène en Normandie, et à ras de terre. 
On peut être dérouté par les multiples adresses au lecteur, qui nous extirpent du fil de l'histoire. Claro, (on a déjà parlé ici de son dernier roman en date, Tous les diamants du ciel), semble nous dire à chaque instant qu'allons, sors de là, ça n'est qu'un roman. Et pourtant.
Le dernier quart du livre, après avertissement, nous fait tomber dans le gouffre du regard paralysant de Méduse : on y trouvera, ici encore en germe, beaucoup des thèmes et motifs qui alimentent les bouquins de l'auteur postérieurs à Bunker Anatomie : les mains dans l'acide, l'univers du magicien d'Oz, la ville de New-York... le tout dans un long monologue halluciné, trash, syncopé et poétique, qui déraille, nous parle de l'époque actuelle, de tout, de rien, qui nous charge et se décharge. On peut aussi y lire, en filigrane, les pleins pouvoirs, sinon de l'auteur, au moins de la fiction. Réjouissant, donc.

 

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