Pour les découvreurs des Vases Communicants :
- C'est, chaque premier vendredi du mois, un échange de textes,
voire d'images ou de sons, entre deux sites/blogs volontaires.
- C'est une Idée
lancée initialement par Tiers Livre et Scriptopolis.
- Ce sont des rendez-vous qui s’opèrent notamment grâce au groupe Facebook des vases communicants, dont Brigitte Célérier est l'âme. Alors merci. (Elle administre aussi le blog qui, mensuellement, regroupe tous les participants. ) Merci aussi à Pierre Ménard qui scoop-it les échanges.
Ce mois-ci aura été rythmé par les échanges avec Giovanni Merloni, dessinateur et écrivain qui m'épate, et avec lequel les échanges auront été sincères, fournis, agréables... Bref l'essence des Vases Communicants. Encore merci Giovanni.
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West side story
Les
divers endroits du monde se ressemblent. On pourrait tout étudier sur une
carte, s’aidant avec des livres de toutes sortes. On pourrait réussir à
assimiler et à renfermer dans le cœur de la mémoire ces mondes nouveaux, faits
d’inconnues lumières et d’inconnues distances qui pourtant rentrent tous, sauf
rares exceptions, dans le jeu de cette civilisation qui photographie,
enregistre, commente et compare. On peut aussi bien s’aider avec l’expérience
d’autres lieux similaires. Par exemple, la Bretagne a bien sûr plusieurs points
en commun avec la Galice espagnole, la Cornouaille anglaise et aussi la côte
ouest de l’Irlande. Ou alors les fjords de Norvège devraient avoir affaire pour
certains aspects avec les rìas du Cap Finistère…
Mais,
vraiment, je le jure, jusqu’ici je ne sais presque rien de mon correspondant
qui s’appelle François Bonneau. Je connais un peu ses écrits, je suis resté
fasciné aussi par le titre de son blog, « L’irrégulier », qui me l’a
rendu immédiatement sympathique et dont j’ai lu quelques textes qui m’ont
touché. Je sais qu’il est professeur (je crois de lettres, dans un lycée) et
qu’il va bientôt se marier dans le sud de la France. Mais je ne sais pas du
tout où il habite et travaille physiquement. Est-il un homme du sud ou du nord,
du nord-ouest ou du sud-ouest ? Il ne me l’a pas encore dit, moi je ne le
lui ai pas encore demandé. Quand il me le dira…
Dans
l’esprit des vases communicants, je lui ai envoyé quatre dessins, ayant des
raisons et des histoires condensées dans de titres que j’espère cohérents. Il
m’a envoyé plusieurs photos, parmi lesquelles j’en ai choisies quatre.
Nous
nous sommes engagés, dans nos contacts par mail, à exprimer ou raconter
quelques choses que ces images échangées vont nous suggérer… Peut-être,
mes dessins aux sujets contraignants obligeront François Bonneau à s’en
dérober, en se sauvant dans une pure abstraction ou dans une histoire
paradoxale et « irrégulière » comme j’en ai lues et appréciées dans
de précédents vases communicants et dans son blog.
Quant
à moi, je pars dans une dimension tout à fait opposée. Il m’a envoyé des photos
magnifiques, qui catapultent une réalité aussi attirante qu’inconnue sur la
paresseuse agitation de mon ordinateur parisien.
Peut-être,
François Bonneau imagine que je connais déjà ces lieux et qu’il considère comme
escompté que je sache ou devine aussi facilement si ces endroits font partie de
son univers quotidien ou, au contraire, s’ils sont, des lieux éloignés pour lui
aussi comme pour moi : des lieux où il se rend rarement où qu’il n’a vu
qu’une fois, au moment d’en prendre ces superbes et
intelligentes photos.
Mais
je préfère comme ça, avancer à moitié aveugle, sans rien savoir,
procédant par hypothèses. Mon histoire sera ainsi nourrie par cette découverte
incertaine, tandis que mes mots se mettront en marche ou s’arrêteront au fur et
à mesure qu’un itinéraire ou une réflexion se déclencheront…
J’arrive
maintenant. J’ai débarqué étourdi et endolori au petit matin. J’avais besoin de
lacets pour mes chaussures et je voulais me désaltérer avec de l’eau de
robinet. Mais, tous les bars, magasins et boutiques près de l’embarcadère étaient
fermés. Je me suis demandé si c’était dimanche. Il n’y avait personne. L’unique
soulagement pour moi était les inscriptions des affiches et les enseignes
des locaux fermés. S’il y avait quelqu’un, il parlerait bien sûr dans ma
langue… c’est-à-dire dans la langue que je parle désormais depuis des années… Il
fait beau, la journée pourtant s’affiche rigoureuse. Le vent… de l’ouest
(que je reconnais grâce à mon expérience d’ancien marin, rien qu’en léchant
l’index
pointé vers le ciel) a nettoyé le ciel et maintenant le soleil me caresse le
cou. Mais il faut bouger. Je me déplace circonspect dans ces ruelles inanimées
jusqu’au moment où je vois cet œil rétroviseur au coin d’une usine
apparemment abandonnée. Dans le miroir, cerné par des lignes diagonales noires
et blanches, le ciel assume une couleur plus foncée. Un bleu cobalt entoure
gentiment deux maisons attachées et probablement unies à l’intérieur dont celle
de gauche affiche un solide toit en tuiles rouges, tandis que l’autre, en
retrait vis à vis de la rue, se dérobe un peu derrière un jardinet assez dépouillé
et un escalier prétentieux. Sa ligne de ciel d’ardoise, évoquant
une église de campagne, fait ressortir en évidence une mansarde à l’étage. J’y
vais ?
Une
fois rentré, je devrais me présenter. D’accord, je ne suis pas un forçat, et
celle-ci ce n’est pas la résidence de l’évêque de Digne. Mais serais-je digne
de ces villageois aux rythmes tranquilles ?
Où
ont-ils
finis les coups de pied dans le cul ? En Italie, où je faisais auparavant mon
petit cabotage, des restes de cirques arrivaient toujours dans les villages
de la côte de Calabre (Joppolo, Coccorino, Coccorinello, Nicotera et Tropea).
Je dis « restes » parce que j’imagine de féroces litiges entre les
membres de ces familles d’artistes touche-à-tout qui aboutissent à une
sorte de spécialisation dont personne n’a pas vraiment voulu. Donc quelqu’un se prend
l’éléphant, tandis que d’autres essaient de profiter du rideau et de la piste
nue et crue et d’autres encore héritent du manège. Celui-ci que j’examine
maintenant, semble complètement dépourvu des longues chaînes de fer auxquelles
j’ai l’habitude de voir attachées de petites chaises sans dossiers ni jambes…
Celui-ci n’a pas une gueule de manège, même si la décoration de la vrille est
très jolie. Je suis sûr que là-dedans ne se cache personne, ce serait dangereux
avec tous ces engrenages de fer… J’aimerai voir s’il y a une petite porte.
Parfois, dans ce minuscule cagibi on garde des petits trésors. Un vieux
gramophone, par exemple, avec des disques des années cinquante et soixante… et
cette musique légère de Temps modernes : « Je cherche après Titine,
Titine ô ma Titine, Je cherche ma Titine et ne la trouve pas… »
Je
me suis tellement baladé, dans cet endroit désert, sans rencontrer personne ni
animaux, ni traces de quoi que ce soit à manger ou boire, que je me suis
convaincu qu’il y a quelque part un robinet avec une énorme vanne. Ce robinet a
été fermé et verrouillé par les négateurs de la vie. Car je considère comme
très improbable l’hypothèse que les gens soient partis en vacances. Oui,
d’abord j’avais imaginé que les habitants d’ici eussent abandonné toutes
occupations pour monter sur une arche de Noé et s’exiler dans une île avec tout
le bien de Dieu qu’ils auraient égoïstement emprunté partout. J’ai abandonné
cette piste quand je me suis souvenu d’un bruit gigantesque que j’avais entendu
la nuit dernière, lorsqu’on se demandait si ce noir imprégné d’épais brouillard
aurait duré encore un jour. Oui, là-dedans je n’étais pas seul. Et maintenant,
je ne comprends pas. Ici je suis seul, les pieds nus, les chaussures enfilées
dans les poches, le froid mou du sable caressé par la lumière d’un après-midi
de cauchemar.
Je
m’approche du tracteur qui
semble m’attendre, vide et pourtant prêt à partir, comme un astronef…
Un
tableau sans personnes, c’est comme un livre sans paroles. Je rencontre de plus
en plus des difficultés à m'exprimer dans ce vide. Cela a l’air d’aller vite.
Un seul jour s’est écoulé. Le ciel est vide d’oiseaux, la mer est vide de
poissons, il n’y a plus de moules ni d’algues accrochées aux chaînes
rouillées.
Je
songe pour un moment à la déception de Napoléon quand il s’est trouvé dans la
ville de Moscou, vide et brûlée. Mais ici on est déjà à la retraite de Russie.
Une retraite pourtant à l ‘apparence agréable. On va mourir dans un désert
qui n’est pas vraiment le véritable désert, dans une solitude polaire où quand
même les pieds gelés trouvent encore le réconfort de la terre nue… Ou alors je
reviens au tracteur abandonné et je profite de ce silence pour écrire une
lettre à François Bonneau... Cher François, au commencement de cette histoire
de vases communicants, en songeant aux photos que tu devais encore m'envoyer,
j'avais esquissé dans mon esprit un thème "géographique" que je porte
en
moi depuis toujours. Le thème d'une course impossible dans la direction où le
soleil tombe (ou se couche). Une course essoufflée pour empêcher au soleil de
se coucher, pour que le soir s'éternise. Cette idée du "couchant
redoutable et fascinant à la fois" (dont je ne suis ni le premier ni le
dernier è m'imprégner) ne fait qu'un, dans mon imaginaire, avec l'attraction
pour cet "ailleurs" qui se trouvait, à l'origine, sur le nord-ouest
vis-à-vis de Rome (ou de Naples) et maintenant est sur le sud-ouest vis-à-vis
de Paris. Mais, je ne pouvais pas m'attendre à une télépathie pareille.
Car en fait les photo que tu m'as envoyées, symboliques et romantiques à la
fois, m'ont littéralement transporté, en quatre déclic, dans un lieu qui
m'enchante et m'emprisonne en même temps. C'est peut-être dû à la force des
vases communicants. Penses-tu qu'il y a une possibilité de m'en sortir en
dehors de la mort ?
Texte : Giovanni
Merloni
Photographies : François Bonneau
les photos surprenantes - et les fantasmes surpris - s'enchaînent : Giovanni Merloni ne nous a pas laissé sur le sable.
RépondreSupprimerJ'adore !!!! Ah Giovanni... Eh François... Bravissimo !
RépondreSupprimerPdB