Pour les découvreurs des Vases Communicants :
- C'est, chaque premier vendredi du mois, un échange de textes,
voire d'images ou de sons, entre deux sites/blogs volontaires.
- C'est une Idée
lancée initialement par Tiers Livre et Scriptopolis.
- Ce sont des rendez-vous qui s’opèrent notamment grâce au groupe Facebook des vases communicants, dont Brigitte Célérier est l'âme. Alors merci. (Elle administre aussi le blog qui, mensuellement, regroupe tous les participants. ) Merci aussi à Pierre Ménard qui scoop-it les échanges.
Plaisir d'accueillir, ce mois-ci, le texte de Dominique Hasselmann ; nous nous sommes chacun inspirés des photos envoyés par l'autre, avec en tête ce simple mot-clé : l'inattendu. On peut retrouver Dominique sur son blog Le tourne-à-gauche.
Les participants à la manifestation Du Blog à la Scène auront eus, via enregistrement, la primeur de l'échange...
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Rainbow
Il avait longtemps vécu dans ce
sous-sol : une sorte de loft très soft, où personne ne venait le déranger.
Aucune voiture, aucun être humain, aucun animal. Les piliers, seuls,
ressemblaient à des statues, un peu comme à celles de l’île de Pâques, ou aux
Géants du Nord, immobiles mais solides : tout reposait sur leurs épaules
arrondies. Le toit de béton pouvait être menaçant mais on n’était pas au Bangladesh
et les travailleurs clandestins ou pas étaient regroupés dans d’autres
quartiers de la ville. Le soir, il s’amusait à courir dans ce labyrinthe pour
garder la forme, il se glissait ainsi entre ces quilles, jouant lui-même le
rôle de la boule.
Pour en garder un souvenir, il
avait peint cet endroit et s’était attaché surtout à bien « rendre »
le jaune de la base des piliers. Cela reflétait l’aspect exotique du lieu, à la
fois familier (il l’avait « occupé » durant sept mois), et véhiculant
un air d’« inquiétante étrangeté » comme aurait dit Freud qu’il avait
lu il y avait déjà longtemps.
Quand il avait pu dénicher une
cabane à la campagne – et se retrouver alors à l’air libre – il s’était mis à
vivre en autarcie (il relisait parfois Walden ou la vie dans les bois) et à cultiver lui-même son jardin. Il se nourrissait de ce
qu’il faisait pousser, au lieu de quémander et quêter dans la rue ou le métro
« un ticket-restaurant ».
Quel plaisir de ne dépendre de
personne ! Plus besoin d’aller patienter dans la file d’attente, place du
Colonel-Fabien, pour obtenir un bol de soupe (populaire) et un morceau de pain.
Ici, en entrée : radis rouges et blancs comme un drapeau, bien croquants
sous la dent, ensuite des pommes de terre rondes et fermes, récoltées avec la
machine ad hoc qui avait montré depuis des décennies son efficacité et son
caractère imperturbable, quelles que soient (ou fussent) les saisons.
Il élevait quelques poules et
lapins, car il n’était pas végétarien : cela agrémentait son ordinaire.
Pour le vin, il n’avait pas planté de vignes mais se fournissait dans la petite
épicerie du village situé à 10 km.
A côté de son carré de
plantations (qui alignaient aussi des laitues et des haricots verts), il avait
creusé une piscine, avec l’aide des trois paysans qui avaient accueilli de
manière bienveillante sa venue et son « retour à la nature ». Ce n’était pas un de ces bacs
rectangulaires tout faits, en plastique de couleur bleue, tels qu’on en voit
dressés le long des périphéries urbaines et des centres commerciaux
gigantesques. Il avait tout fabriqué lui-même, et veillé à l’étanchéité de
l’ensemble ainsi qu’au fonctionnement du système d’évacuation de l’eau.
Les enfants des agriculteurs
venaient maintenant s’y baigner tous les dimanches, c’était l’occasion
d’allumer le barbecue et de faire cuire des côtes de porc qui fumaient et
enfumaient le paysage sans façon.
Lui-même piquait parfois une tête
dans le bassin, cela lui rappelait sa période d’homme-grenouille.
Car souvent, il repensait à la
Nouvelle-Zélande : il aurait aimé
s’installer là-bas, une sorte de paradis perdu, hélas, par la faute d’un
commandement imprévoyant.
Pouvait-il deviner, quand il
avait posé une des deux mines magnétiques sous la coque du navire, qu’un
photographe se trouvait à bord et serait victime de cette opération des
services secrets français ?
Mais déjà, Edwy Plenel veillait.
La démocratie pouvait se flatter
d’être sous l’œil vigilant de quelques-uns des ses intraitables défenseurs, des
journalistes qui avaient lu Albert Londres et ne confondaient pas l’information
avec l’« entertainment ».
Après l’affaire du Rainbow Warrior, il avait quitté la DGSE et ses
« nageurs de combat », rendu sa combinaison de caoutchouc et était
parti ailleurs : c’est ici qu’il avait atterri.
La paix était brave,
finalement.
texte : Dominique Hasselmann
photos : François Bonneau
Inattendu, oui, le poisson-fille sur le compteur, et cet amour des vieilles choses, qui soudain lui fit penser qu'après le labour des tranchées par la grande faucheuse il fallut inventer l'arracheuse sur les plaines picardes. Prendre ces quatre photos, inventer mille histoires, pour oublier l'autre
RépondreSupprimerIl n'est jamais trop tard pour faire surface; un réseau d’amitiés est plus solide qu'un jeu de quilles, béton-armées ou pas.
RépondreSupprimer@ lignes bleues : l'autre est peut-être là aussi...
RépondreSupprimer@ Dominique Autrou : affaire de "combinaison" des hasards...
RépondreSupprimerMerveilleuse et très poétique aventure, aussi rocambolesque que possible (par moments paisible aussi) de cet homme-grenouille qui vit en soi tout le cycle de l'involution humaine !
RépondreSupprimer@ leportraitinconscient.com : "involution" aquatique !
SupprimerRavi de cet accueil et de cet échange ! Merci pour vos passages !
RépondreSupprimerVoilà ! c'était peut-être le sens de la "formule" si essentielle qui s'évanouit au matin au sortir du rêve ;) Tout est lié.
RépondreSupprimerMerci pour cet échange tout en harmonie.
Sorcière.
@ Sorcière : le lien était sans doute caché...
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