vendredi 4 janvier 2013

En cheminant, en rencontrant - Vase Communicant - Brigitte Célérier



En guise de meilleurs vœux pour ce 2013 balbutiant, voilà ci dessous le premier échange Vases Communicants de l'année.  
L'irrégulier est tout fiérot d'accueillir Brigitte Célérier, moteur et colonne vertébrale des vases, dont on peut suivre les pérégrinations avignonnaises, via des dialogues entre textes et photos, sur le blog Paumée. À découvrir, aussi, le second blog de Brigitte, brigetoun, qui propose des extraits de textes, des en-cas littéraires toujours très bien choisis.
Nous sommes tombés d'accord pour interroger les figures humaines de pierre (mascarons dans son cas, cariatides et atlantes dans le mien), que l'on croise parfois dans les rues.
Et pour les nouveaux venus, bref rappel :

Vases Communicants : c'est chaque premier vendredi du mois. C'est un échange de textes, voire d'images ou de sons, entre deux sites/blogs volontaires. Idée lancée initialement par Tiers Livre  et Scriptopolis.

Les rendez-vous s’opèrent notamment grâce au groupe facebook des vases communicants, dont Brigitte Célérier est l'âme. Alors merci.



 
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En cheminant, en rencontrant. 

Texte et photos : Brigitte Célérier 
 

Dans les rues de ma ville, je m'en va seule.
Dans les rues de ma ville, regarde le ciel, regarde mes pieds, prudente.
Dans les rues de ma ville, je croise des gens pressés, étrangers, que j'indiffère, qui m'indiffèrent.
Dans les rues de ma ville, rencontre de calmes présences, que je peux scruter, sans que soient gênées, sans que l'on me sache folle.



rue Saint Etienne, penché au premier étage de l'Hôtel du Laurens – c'est chez Monsieur Pierre-Joseph Cayranne, je crois, il me semble, notaire et greffier des cours du Palais Apostolique – un garçon avec son bonnet, je crois, ou une jeune femme sous un chapeau de chasse - une face un peu sotte, je crois, ou ironique, un peu, sans trop le montrer – l'indifférence affichée d'un valet ? Oui, plutôt, je pense...
et il est jeune, un peu insolent, un peu amoureux de sa maîtresse, jolie et pas encore trop mure, toute charmante, aimable et qui se fait gracieuse pour accueillir, qu'il regarde d'en haut – et tant pis si les ans et les intempéries l'ont moins respectée.
rue de la petite Fustrerie – c'est là qu'en mars 1587 le duc d'Epernon courut la bague avec des masques accoutrés de couleurs, mais ne le savent pas, sans doute, ou en ont peut-être entendu parler par leurs nourrices, les deux dames de l'Hôtel de Messieurs Pierre et Didier Monery, docteurs ès-droits – une femme intelligente et sans grand charme qui me regarde de tous ses yeux, joues un peu creusées par les veilles studieuses,
et la toute coquette idiote aux joues enfantines, aux yeux exorbités, qui a assorti les fleurs de ses cheveux aux lourdes guirlandes – mais ne me disent pas d'entrer, guettent pour que les manants importuns n'accèdent pas aux merveilles des temps anciens, aux toiles peintes de Pillement, aux peintures de Francesco Zucchareli, aux appartements restaurés il y a quelques années, à leurs occupants et au souvenir des entrepreneurs de messagerie et des Saint Priest d'Urgel
dans les rues de ma ville, étais paresseuse, ou pressée, ai suivi mon chemin, de nécessité en nécessité
n'ai pas levé les yeux vers les vierges de tous les coins de rue, ou presque, n'ai pas fait détour ou route vers Hercule, vers nobles seigneurs, vers plus jolies dames des Hôtels de riches négociants du dix-huitième, vers les boursouflés et dévitalisés du siècle dix-neuvième, juste salué, énormes, surplombants, portant balcon de toute leur tête penchée, parce que me sont familiers



parce qu'ils sont de forte structure, volontairement grotesques, sortis d'un conte pour clore une journée d'enfants sages, deux des matamores, pirates turcs ou de mer de Chine

parce que, aussi, ils m'ont introduite, au prix d'un petit détour, à la houle sculptée italienne - dessinée par Domenico Borboni, bolognais et gloire avignonnaise, ouvragée par Jean-André Borde... là, pardon, c'est une remontée scolaire de mon goût pour cette façade, ce goût qui veut que je traîne devant elle (et la porte de Saint Pierre, mais elle est hors sujet) tout imprudent qui se fie à moi pour découvrir la ville - médaillons, attributs, guirlandes, chutes de fleurs, cornes d'abondance, et ces mascarons, ces vieux de la mer ou des bois, ces sévères et tendres présences chenues, douloureuses ou sages, tourmentées et harmonieuses, et leur grasse sève qui m'est savoureuse.

revenir en guettant du coin de l’œil l'ami, le satire si merveilleusement bienveillant, ligoté par méfiance – l'est donc peut-être pas si bénévolent –, mais il s'en moque bien, il irradie d'une gaieté qui lui fripe les joues, s'amuse de ses rides, fait flamber les boucles de sa barbe et de sa toison mêlée de pampres, met sur sa face riselet de bonheur, lui, rencogné en retrait de ce qui fut la librairie du gentil Joseph Roumanille.

8 commentaires:

  1. Superbe, Brigitte ! Ça donne envie, bien sûr, de venir, de revenir et de revoir quelques unes de ces ruelles et calades de son enfance... oubliée ! Merci.

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  2. Ces têtes sculptées (après les femmes sculpturales anglaises) nous regardent, nous sourient ou se moquent de nous : le théâtre d'Avignon et ses masques se déploie dans sa belle extravagance pas seulement sur scène - mais au-dessus des portes et donc ici aussi.

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  3. Mes pas m'ont conduit jusqu'à vous. Vos pas vous ont conduit à fréquenter une belle galerie de célébrités. Et vos mots ont rendu hommage à ces personnalités ma foi bourgeoises et bien nanties. Leur gravure dans ces pierres d'autrefois en témoigne.

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  4. très agréable promenade. merci !

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  5. Belle série aussi. Les mascarons remplacent les atlantes, leurs masques souriants ou terrifiants (enfin qui se veulent tels) nous accompagnent partout dans Avignon, et tu as raison d'insister sur la façade de l'hôtel de Crillon, la plus belle et la plus richement décorée.

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  6. C'est enlevé, inattendu, cheminant les yeux en l'air, à l'affût de ces faces de pierre, hilares, grognantes, sérieuses, animales, échevelées, Brigitte, encore une fois nous surprend et enchante.

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  7. Je ne pensais pas en trouver autant Belles histoires d'histoire en plus

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