vendredi 5 octobre 2012

Christine Jeanney : Lui et les voitures // Vases Communicants

 
Vases Communicants : c'est chaque premier vendredi du mois. C'est un échange de textes, voire d'images ou de sons, entre deux sites/blogs volontaires. Idée lancée initialement par Tiers Livre  et Scriptopolis.
Les rendez-vous s’opèrent notamment grâce au groupe facebook des vases communicants, dont Brigitte Célérier est l'âme. Elle administre aussi le blog qui, mensuellement, regroupe tous les participants. (Merci à elle !). (Page précieuse pour ne manquer aucune rencontre vasèsque.)

Gros enthousiasme ce mois-ci, à l'idée d'accueillir Christine Jeanney.  
Le récent Lotus Seven, chez publie.net, récit à contrainte mêlant souvenirs d'enfance et épisodes de la série Le Prisonnier, c'est elle.
Nous avons décidés de parler voitures. En essayant de ne pas transformer nos blogs en annexes d'autoplus.
Ma contribution du mois, 
Et ci-dessous, son texte à elle :
***
 

Lui et les voitures


Ce que j’en savais, c’était deux mots « traction avant ».
Et aussi la légende : il roulait si lentement parait-il, qu’on aurait pu cueillir des pâquerettes ou saisir les lapins aux oreilles d’une simple main passée par la portière ouverte pendant qu’il conduisait. Ça et « traction avant ».
Mais je ne l’ai jamais vue. Une citroën. Et ensuite des peugeot, un souvenir de peinture bronze, de décollements par plaques, avec des courbes, comme voir un morceau d’œuf doré décoquillé par les intempéries, quel oiseau fabuleux ça faisait naître. Sûrement une 404 (l’oeuf du 0 entre deux 4 à angles technologiques).
Une 504 ensuite, ses phares carrés de lunettes sérieuses, œil d’ingénieur à qui on pouvait faire confiance. Les sièges en skaï. « Skaï », ça donnait une idée de neuf, d’odeur, de modernisme, de financièrement solvable, de progrès, de responsabilité non dénuée d’inventivité, respectable et tonique, skaï. Cuir, c’était riche et un peu obsolète, des méprisants, des vieux, des moisis pour qui tout était facile, non, pas des gens comme nous. Et tissu, c’était passé de mode et surtout rempli de microbes, il fallait vraiment être resté un peu paysan dans l’âme pour aimer ça. Nous, on était skaï.
Une CX grise métallisée et son ruban caoutchouc noir qui frottait le bitume sous le pare-chocs arrière pour empêcher mes vomissements (tu parles que ça marchait, dans les lacets des alpes, j’ai constamment un sac ouvert devant la bouche).
Et un jour la BX. Attendre qu’elle lève son derrière avant de démarrer, comme on attend dans une fusée ou dans un aéroglisseur, attendre avec sur le visage l’expression du pilote d’essai, d’élite.
Et la dernière voiture, Xantia, le prénom à la noix, pourvue d’un numéro de code pour qu’elle démarre. Il ne la conduira pas très longtemps, puis plus du tout, les pâquerettes et les lapins peuvent gambader tranquilles. Ce qui serait étrange, c’est de savoir ce qu’il en reste : un boulon, quelque part, récupéré pour un autre châssis, ou entassé avec d’autres ferrailles dans le magma d’une casse, ou emporté dans une fonderie pour qu’on y modifie sa forme, qu’on le fusionne chaleur liquide avec d’autres boulons, qu’il y devienne lampadaire, radiateur, ou pièce de séchoir électrique. Objets qui roulent.

Texte et photo : Christine Jeanney

1 commentaire:

  1. Chère Christine. Une belle érudition sur une mécanique qui, dès que je suis en sa présence, m'oblige à appliquer les freins tant elle m'effraie. Comment me suis-je rendu à mon âge avec tant de ces bolides qui me frôlent au quotidien... pedibus cum jambis.

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