Vases communicants, donc :
Chaque premier vendredi du mois, une grosse poignée de blogueurs (liste de septembre), auto-répartis en binômes, publient chacun un texte chez un autre blogueur. C'est à l'initiative de Tiers livre et Scriptopolis. Bridgetoun rassemble, Pierre Ménard met en valeur...
J'accueille donc ci dessous un texte sévèrement oulipien de Wana Toctoumi, qui héberge lui-même mon paragraphe du jour, Au phare (merci !) :
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La passion du café expresso
C'est l'histoire d'un minuscule grain de café qui déclenche des passions, lorsqu'il est question de le transformer en breuvage. Il pousse sur un petit arbuste, à l'abri des frondaisons de grandes forêts qu'on trouve en altitude au Guatemala et qui occupent de vastes étendues de limon et de sable que la montagne a soulevées il y a plusieurs centaines de millions d'années. On peut admirer le résultat de cette technique de culture, où les caféiers s'élancent à l'assaut des essences plus hautes qu'eux, sans parvenir à les concurrencer. Dans cette cohabitation, ou petits et grands trouvent chacun leur place, nous voyons comme le rappel qu'il n'existe pas d'êtres supérieurs ou inférieurs, mais seulement des êtres différents voués à partager leurs morceaux d'existence, sans qu'il soit nécessaire pour l'un de dominer l'autre par le sang et les larmes.
C'est l'histoire d'une machine électrique qui extrait d'un grain de café, la boisson réparatrice la plus répandue chez les hommes, après le thé. Elle infuse, sous une pression élevée, goutte après goutte, une larme après l'autre, une poudre obtenue après brûlage et broyage du grain de café. Il faut beaucoup de passion, pour goûter ce moment exquis, où la goutte est suspendue, sans rappel, au bec du percolateur, et va connaître une chute inexorable au fond d'une tasse de grès couleur sable, libérant, tandis qu'elle éclate, des senteurs douceâtres qui montent à l'assaut de vos narines et dont vos papilles s'impatientent de savourer le résultat.
C'est l'histoire d'une tasse de grès, qui promet, rien qu'en la regardant, de vous offrir ce résultat indicible de l'infusion sous pression, de quelques grains de café moulu et qui, si vous y avez investi un peu de votre âme, vous tirera subrepticement une larme de plaisir au moment de porter vos lèvres sur la fine mousse qui la recouvre, dans un geste d'abord prudent, puis par un contact un peu plus engagé, puis encore avec une inclinaison résolument volontaire de la tasse et enfin, dans un assaut brutal pour tout avaler avec la précipitation d'une passion destructrice : votre café a été... votre café n'est plus !. C'est un peu comme, étant enfant, on édifie un château de sable, avec mille prévenances, en veillant à ne fragiliser aucun de ses fondements, ajoutant degré après degré à la hauteur de la construction, jusqu'au moment où le temps n'est plus à la patience et où il faut expédier un rapide coup de pied dans l'ouvrage pour le consommer : le moment du goûter où le moniteur de colo bat le rappel.
C'est l'histoire d'un réservoir, dans lequel on a versé l'eau du café.... un réservoir plaqué au corps du percolateur, maintenu au contact étroit de la machine électrique, par un ressort de rappel qui lui interdit de fuir ses responsabilités. Un réservoir transparent dont le niveau de remplissage visible, mesurable, pourrait descendre en deçà d'une limite visible, repérable, ce qui serait le résultat d'une consommation excessive, irraisonnée et compulsive de café en grande quantité. On n'y verra jamais une tache, dans ce réservoir, jamais un résidu, jamais la moindre particule, le moindre grain de sable tombé là par négligence : un réservoir limpide et immaculé ! Certes, sur les parois subsisteront quelques traces des couches d'eau consommées au fur et à mesure des sollicitations du percolateur... Mais comme un avertissement, la multiplication de trainées et de larmes paresseuses sur les parois, sera le signal qu'il faut à nouveau remplir le réservoir pour assurer le fonctionnement, sans interruption, de la source de café que chacun, avec passion, au moment de la pause du déjeuner, viendra prendre d'assaut.
C'est l'histoire d'une résistance électrique, maintenue en permanence sous tension, qui entretient dans la chambre de compression du percolateur, la température idéale pour réponde aux assauts répétés des buveurs de café expresso. Sous l'effet d'une pompe de compression et de rappel, l'eau venant du réservoir immaculé circule sous pression dans la tuyauterie de la machine, pour venir imprégner la mouture de café, l'enrober, la circonscrire comme par passion et la noyer avec fièvre, pour s'en extraire finalement en totalité, ne laissant comme résultat de cette étreinte, que l'humidité d'une larme tombée dans un bac de sable.
C'est l'histoire d'un fusible, fil ténu d'alliage métallique noyé dans une cartouche au sable, qui comptabilise la consommation électrique erratique de la résistance d'un moteur de percolateur et qui, à chaque assaut de courant réclamé par la commande d'un nouveau café, manque à deux doigts de se répandre en larmes de métal fondu. Il se plaint, ce fusible et crie si fort qu'un groupe chargé de prévention écologique, à la Commission Européenne, a dû faire un rappel aux bons usages et, après consciencieux examen des tenants et aboutissants de ces affaires de harcèlement fusionnel, a présenté le résultat d'une étude visant à limiter l'usage de percolateurs énergivores, fixant ainsi des critères de décence dans l'addiction aux percolateurs et marquant, pour des générations à venir de buveurs de café expresso, les limites de leur passion.
Wana, le 2 septembre 2011
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Ce texte obéit à plusieurs contraintes de type oulipiennes.
Le sujet m'en a été opportunément fourni par un article du monde.fr, du 30/08/2011 :
Bruxelles veut réglementer la consommation des cafetières électriquesIci, l'explication de la conception
très bien, j'adore... PdB
RépondreSupprimerHum, hum, What else ?
RépondreSupprimerstupéfaction ce matin en découvrant ce texte si abouti - aimé et me suis demandé : il attendait ?
RépondreSupprimercouleur...café...et écho avec mon tout premier vase communicant il y a quelques mois.
RépondreSupprimerj'aime ce texte et en plus il est oulipien....
RépondreSupprimerOui, Très content d'accueillir une oulipiade aussi fouillée ! Merci pour lui !
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