vendredi 3 février 2012

#vasescommunicants : Camille philibert


Voici comme chaque mois Les Vases Communicants,
"Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre." 
  Ceci à l'initiative de Tiers livre et Scriptopolis  :
  par binôme, donc, chaque volontaire propose son texte chez un autre blogueur. 

Ce moi-ci, j'accueille avec plaisir Camille Philibert et son texte enjolivé de vidéo.


***

Elle fonce sur lui. Il ne scille pas. Elle l’interpelle, le questionne, le somme de s’expliquer enfin. Il contemple ses chaussures, il a bien fait de mettre ses Clarks en daim, il aime bien. Il grommelle quelques phrases poussives ponctuées de soupirs. Une expression exaspérée envahit le visage de la femme. Son bras se tend en arrière comme malgré elle, sa main s’ouvre en pelle, puis se rabat sur le visage de l’homme. Il se sent soulagé quand les doigts rêches raclent sa jour. Les yeux de la gifleuse s’écarquillent. Il recule d’un pas sur. Elle serre sa main rougie, la caresse, se frotte la paume. Elle s’en veut, lui en veut. Rien ne tourne rond. Il touche sa joue chaude en baissant les yeux. Dans les narines, l’air ne rentre plus. Même en se raclant précautionneusement des sinus, pas un gramme d’air ne traverse le nez. Les cotes ne frémissent pas d’un iota. Une tombe. La gorge se mure dans une immobilité marbrée. La mâchoire se décroche laissant les lèvres desséchées entrouvertes. La langue s’alourdit progressivement. De la pierre. Le rosé de la peau du visage et des mains reflue, une mer de vie se retirant d’une plage caillouteuse.  Moite est la blancheur opalescente qui s’étend à la surface du corps. Des gouttelettes de sueur s’égrènent. Hoquetante, la deuxième inspiration et toujours pas d’air. Les paupières s’écarquillent un peu plus les pupilles des points d’aiguille. Corps iceberg où ne résonne que le chaos du cœur. Les pulsations intérieures se démantèlent en crescendo. C’est effrité dedans. Quelque chose d’indicible t’a emmuré. Le sang se concentre autour du cœur et du foie. Troisième essai pour inhaler de l’oxygène, ne serait-ce qu’un mince filet, une brise essoufflée se déroule des sinus au plexus. Halètement. La cage thoracique se soulève enfin, les cotes frémissent. Réanimation. Et quand la langue se colle au palais dans un clic minuscule, désormais le déglutissement est possible. Libération. Tu oscilles en arrière. Tu hausses des épaules dans un mouvement décontracté. Déferle subitement la sensation que tu viens d’y échapper, cette fois, tu viens d’y échapper. C’est passé tout près. Tes poils se hérissent. Sanglots retenus. Soupirs silencieux. Sidération effacée. Tu y tiens. Fondamentalement. Finalement. Irréductiblement. Plus que tout, tu y tiens et tu tiens.

Camille Philibert

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